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« Je n’avais jamais fait attention…
– À quel propos ? »
Des yeux au bleu délavé par les siècles se rivèrent aux siens. La manne de cheveux autrefois d’un beau noir de jais avait bien grisé. Et même blanchi par endroits depuis qu’elle était partie. Elle-même trouvait de plus en plus de fils d’argent à chaque brossage ; c’était magnifique quand le soleil tapait dessus, reflets argentés dans le doré solaire de sa chevelure mais c’était surtout une marque du temps qui passait. Qui passait pour les autres : un de ses cheveux blancs équivalait quasiment à une demi-vie normale, maintenant…
Elle ne vivrait plus que quelques mois, quelques années au grand maximum si les Cieux lui offraient la chance de pouvoir tout mettre en ordre avant. Mais elle en doutait : il suffisait de se rappeler les décès brutaux de ses compagnes. Elle était l’une des dernières de ce passé si lointain. Elle ne survivrait pas à son Roi quand bien même elle le souhaitait de toute son âme. Chaque jour, il s’enfonçait un peu plus dans cette folie douce qui, heureusement – vraiment ? – n’affectait que lui ; elle savait qu’une fois partie, Pluto saurait s’occuper de lui et l’accompagner vers sa fin.
Il n’avait toujours pas répondu ; elle réitéra sa question.
Ils se trouvaient dans la salle d’attente VIP du téléport impérial intraplanétaire de Kinmoku. Ce voyage diplomatique posa plus de problèmes que prévu et un énième incident les obligeait à attendre la réparation du téléporteur par les technico-mages.
Il pencha un peu la tête sur le côté puis se pencha carrément au-dessus du petit guéridon entre eux ; les tasses tintèrent. Il avorta un geste de la main mais elle savait pertinemment ce qu’il voulut faire. Elle se mordit la joue pour ne pas hurler, ne pas pleurer. Les deux. Elle savait que ça devait arriver un jour ; que ça allait arriver.
« Tu lui ressembles tellement… »
Les yeux sur elle étaient remplis d’un amour douloureux qui, merci toutes les divinités de tous les âges, ne lui était pas destiné. Il semblait chercher un fantôme par-dessus son épaule et le brillant de ses yeux délavés trahissait plus qu’un bouleversement : c’était celui d’une personne qui avait perdu quelque chose de vital mais se convainquait que ce n’était pas le cas.
« Peut-êt––
– Silence ! »
L’ordre claqua dans la salle, vide à sa demande. Elle se méfiait de plus en plus de ses réactions incontrôlées mais surtout, elle n’avait pas vraiment confiance en la famille impériale de Kinmoku. Elle mettrait sa vie entre les mains de la Princesse de Tankei mais les échanges houleux avec les représentants politiques de la planète lui avaient laissé un goût amer qu’elle n’était pas prête d’oublier.
« Si tu oses dire davantage, Endymion, je te jure que jamais je ne te le pardonnerai. Et jamais tu ne te le pardonneras. C’est un mensonge et tu le sais. Un tel manque de respect envers moi, reprit-elle quand il fit mine d’ouvrir la bouche. Je suis aussi une souveraine, ne l’oublie pas . »
Elle se leva, les tasses cliquetèrent et vacillèrent dangereusement de ses mouvements rageurs. Elle s’enferma dans les toilettes pour laisser des larmes de rage et de désespoir enfin s’échapper. Elle se fichait d’être techniquement la reine de Vénus, son royaume n’était plus grand chose quand bien même elle s’échinait à le faire revivre avec les réincarnés vénusiens. Elle avait d’autres chats à fouetter. Elle avait juste utilisé le premier prétexte possible pour couvrir d’autres mots plus assassins qui n’auraient en rien arrangé la folie de son souverain.
Elle fut le kagemusha de sa Princesse, de sa Reine mais elle n’était en rien son substitut.